Enfantines

“Por mi parte se me importaba muy poco darle o no el rollo de película, pero cualquiera que me conozca sabe que las cosas hay que pedírmelas por las buenas.”

Julio Cortazar

 

Ma Chère Amie,

 

Comme je lisais l’heure avec la Figure, le souvenir de l’ancienne école m’est revenu, avec tous les secrets laissés dans l’humidité des pierres blanches, les grincements de l’escalier et l’attente sur le goudron mouillé. Aux autres, je pourrais raconter et décrire ces souvenirs – je te soupçonne même de croire que je serais capable de les écrire – mais toi tu les sais, tu as laissé sans en avoir conscience tes secrets à côté des miens (et comme ils se parlent, ils nous lient au-delà de nous mêmes). Je n’ai pas besoin non plus de te dire les affinités que j’ai pour Larbaud, ou bien que le jeune sentimental que tu connaissais te les ait passionnément exposées lorsqu’il a fait sa rencontre, ou pire, qu’elles te soient évidentes sans même que j’en parle. Et de tout cela je suis arrivé à une conclusion – ce qui ne t’étonnera pas non plus parce que tu connais les ressorts déductifs de mon esprit…comme tu sais ma sale manie du suspens incongru, et que tu devras attendre un peu pour la connaître.

Il y a quelques temps, j’écrivais une longue lettre à un ami, en réponse à la charrette d’insultes et de reproches, lâchement enrobés d’un soucis inédit d’honnêteté, déversée rapport à ce qu’il appelait “la façon dont est traitée dans le groupe” sa nouvelle copine – comprends que nous ne nous conformions pas suffisamment à ses opinions… – Oui je sais, quelle piteuse histoire ! C’est d’un mauvais goût inouï. Atta attends ! Ne perds pas patience, je ne développe pas, je laisse la lettre en annexe (pour les amateurs de mauvais roman). – J’écrivais ma réponse pour finalement ne jamais l’envoyer, étant arrivé à la conclusion que c’était jeter de la confiture aux cochons – snobisme oblige. Je décidais de ne pas perdre mon temps. Cependant cette question triviale me travaillait, pouvais-je laisser les insultes sans réponse ?

Tu sais qu’avec l’âge je me suis fatigué de la révolte et préfère passer mon chemin. J’écris des petites histoires que tu es la seule à lire ou presque, j’aime dans mon coin sans ennuyer personne, etc. Seulement voilà, je ne suis pas Démocrite et la vie sociale me tarabuste parfois.

fighting kittens

Je pensais à notre enfance donc, à cause de Larbaud. Tu jouais à l’élastique et moi au foot, nous jouions aux billes ensemble, jadis insouciants – aujourd’hui, on vient nous expliquer que c’était mal, parce que « genré ». L’autre jour au travail, un chef a sifflé en regardant de haut en bas une employée qui lui faisait dos – j’en étais malade et j’ai eu besoin de t’en parler. Pour les expliquant-e-s, je suis un de ces chef-f-e-s, et pour les chefs, je suis un des ses expliquants. L’entente polémique des hommes débiles de l’ancienne civilisation et de leur néo-combattant-e-s débiles m’étouffe, et je crois ne pas être le seul. La vie est ailleurs.

Je reçois donc au visage que je suis ceci-cela, j’écris une réponse que je n’envoie pas, je lis Larbaud, je pense à l’ancienne école – c’en est trop ! Je décide de t’écrire publiquement, pour répondre d’un coup double au dégénéré et à tous les petits malins de son acabit. Il a trouvé la lune le brave homme ! La vérité ! Il défend les minorités à la louche – pas la mienne non, ni quelques autres moins attractives… Il me juge, me toise, me méprise. Il a trouvé sa cause. Avec ses petits potes (il n’irait pas seul non plus…) En lutte pépère, et en lutte contre ! Bien appuyé, sans se rendre compte qu’il est l’autre face de la même pièce…qu’il vit dans le même monde…joue dans le même bac…morve au nez…déguisé en indien… Tant pis pour eux.

Toi en revanche, j’ai tout à te dire – mais tu rougis ? C’est toi qui m’as dit d’éduquer les porcs – chacun leur tour. Je te prends à parti, parce que c’est d’abord pour toi et les personnes comme toi que j’écris ces machins, toi devant qui je n’ai pas à justifier qui je suis ni qui tu es pour moi. Je continue d’écrire mes petites histoires même si tu es la seule à les lire, comme déclaration, comme manifeste, comme démonstration que la vie est davantage qu’une succession d’action et une personne une accumulation de critères. L’image ne résume pas la chose. Je ne veux pas de profil, je ne veux pas de code barre, je ne veux pas vivre sous surveillance. L’enfant qui s’ennuie devine une figure secrète sur le marbre de la cheminée : c’est pour ces forces de gravitation que nous lisons et écrivons, ce sont elles aussi qui nous lient, au-delà de communautés, de catégories, de critères. C’est également pour ça qu’est né le Livre Parfait, « mieux vaut lire de bons livres que de mauvais…»

Pour le livre, c’est ici ou ici.

 

Annexe :

 

Cher ami égaré,

 

« En fin de compte, tout s’arrange, sauf la difficulté d’être, qui ne s’arrange pas. » J’ai lu ce livre dans le bus qui me ramenait du lycée où nous nous voyions tous les jours. Il me parlait si bien. Je crois que les adolescents que nous étions se comprenaient mieux que nous ne nous comprenons aujourd’hui (les doutes se transmettent facilement, les passions aussi). C’est bien cette éternelle question qu’il serait important de développer : comment vas-tu ? Qu’est-ce qui t’apporte de la joie ? Mais ton sujet aujourd’hui étant notre rapport à ta copine, je reformulerai en l’occurrence : es-tu heureux avec elle ? Es-tu épanoui ? Car de cela je ne sais rien, et j’ajoute même qu’il n’en paraît rien. Depuis son retour tu sembles toujours plus fermé, peut-être plus malheureux, et si corrélation n’est pas causalité du moins elle force l’interrogation. Le couple peut être le lieu tout aussi bien de choses sublimes comme d’abjectes et je ne peux pas trouver assez de naïveté pour bien vouloir croire que tout est rose entre vous.

 

Alors comme ça notre comportement n’est pas en conformité avec tes nouveaux standards de savoir-vivre ? Notre attitude te dérange, notre vocabulaire te déplait ? Peux-tu entendre que les mots ne vous appartiennent pas plus qu’à nous ? Surtout quand ils ne vous sont pas adressés… Quant à nos attitudes de collégiens et à assumer, je crois que nous avons passé l’âge de jouer à qui est le plus adulte.

chat roux mer

Au-delà des chicanes, je crois deviner que ta copine ne se sent pas bien avec nous, ce qui contrarie ton désir de nous concilier. Je crains de paraître brutal parce que je ne suis pas d’accord et pourtant je ne cède pas, comme toi lorsque tu nous as écrit. En langage de collégien : c’est toi qui a commencé. Ton message ressemble grossièrement à une prise morale visant à nous contraindre de ne rien faire qui la contrarie, et de ne rien dire de désagréable sur elle. Au fond, elle ne m’importe pas vraiment jusqu’à ce que tu viennes nous faire la leçon, nous juger et nous donner des ordres. Tu nous adjures d’être honnêtes sans être méchants… L’arbitre des élégances pourrait-il fixer la limite avant que nous commencions ? Non, tu ne veux pas que je sois honnête. Je ne doute pas qu’une bonne caricature de mon caractère sera d’un grand secours pour balayer un peu vite ma réponse. Que faire alors que je représente tout ce que vos théories sociales vous font haïr, la figure même de l’Oppresseur ? Viendrais-je déclamer en réponse des théories insultantes envers ce que vous pourriez représenter ? L’ultimatum est posé d’office, ton parti pris, le jugement prononcé « Sachez que je tiens à vous mais je tiens encore plus à elle ». Je préfère passer mon chemin, je ne ressens pas d’envie de l’intégrer dans ma vie, et certainement pas comme ça.

La sincérité est une ascèse exigeante pour les êtres inconstants que nous sommes. J’écris tout ceci en réponse, je joue le jeu, cependant habité d’un doute, venu de la connaissance de ce mécanisme qui fait chercher en l’autre une justification morale à notre volonté première de rupture avec lui. Le mécanisme qui te ferait, après que tu aurais décidé de rompre avec nous, chercher en nous une justification à cette rupture, pour ton confort moral. Si c’était le cas, il aura été vain de répondre à tes arguments, qui n’étaient donc pas la cause mais l’habit qui motive la condamnation, habit sans cesse renouvelable, inextricable puisque vu comme la peau même. Peut-être que tu n’as pas déjà écrit cette histoire, ou bien peut-être voudras-tu la réécrire – alors écris-la du mieux que tu peux, c’est tout ce que peut faire un homme.

 

Je te suis très reconnaissant de la franchise dont tu as fait preuve et me suis efforcé tout au long de ses lignes d’en être digne, je souhaite que tu puisses les recevoir sans en être blessé, en adulte.

 

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2 Comments Add yours

  1. Angelilie says:

    J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir

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    1. Bonjour Angelilie, on vient de découvrir ce commentaire ! Merci beaucoup, ça nous va droit au coeur. Au plaisir également 🙂

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