La Brise

La brise du neuvième étage,

La Boétie et l’éthique nouvelle

 

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

 

Le soir après dîner, nous nous asseyions sur le tapis rouge aux motifs verts, pour écouter grand-père du haut de son fauteuil. Le chat lui-même surveillait la cérémonie, ou jouait le greffier selon son humeur, un peu à l’écart, sur son coussin bleu. J’ai toujours aimé les soirs, ceux-là résonnent de la voix qui ouvrait le monde devant moi, et clignotent dans ma mémoire patinés d’un bonheur parfait.

La guerre et la misère passées occupaient une grande part des histoires, mais assurément le sujet favori était les aventures de Rins. Grand-père en parlait comme d’un mentor et de son meilleur ami. Je ne devais prendre conscience que bien plus tard que le Rins de Grand-père était le même que ce personnage mythique que chacun connaît – et je n’oserais incriminer la prononciation exotique de mon aïeul dans cette confusion. La culture manque aux premiers âges, la mémoire est aussi plus réceptive, et l’homme porte toute sa vie les histoires entendues enfants. Je rapporte ici celle de Rins, telle qu’elle vit en moi depuis toutes ces années, certainement déformée dans le détail, mais je l’espère, toujours vivante.

 

Il faut dire que les histoires courent bon train sur ce personnage légendaire, des plus simples au plus alambiquées.

 

Rins never steps down ; he shifts the universe up.

 

Les versions les plus fantastiques racontent que Rins est à l’origine de la construction d’un château volant, ouvert à tous les vents, et dirigé par un pingouin ; qu’il traversait les polognes et les atacamas avec son fidèle gnou pour prêcher la liberté à travers le monde, accueilli en chaque pays en idole par sa communauté, avec pour seul bagage sa chemise rouge, son air hirsute, ses dents du bonheur qui ornaient son visage, et ce livre dont il ne se défaisait jamais, Le Discours de la servitude volontaire.  

 

When Rins counted his fingers as a kid, he always started with 0.

 

Enfant prodige et solitaire, Rins aurait exprimé un talent précoce pour les mathématiques, et un goût plus tardif pour les danses folkloriques. D’aucuns le peignent atteint d’un léger autisme, d’autres simplement introverti ; tous s’accordent à dire qu’il était plus à l’aise en compagnie de machines que de femmes. Jeune homme, il s’assurait le respect de ses camarades par son talent pour crocheter les serrures, non pas qu’il eût jamais rien voler, mais que pour lui une porte verrouillée était un outrage en soi, qu’il se devait de réparer.

 

There is no chin under Rins beard. There’s only another beard. Recursively.

 

On lui prête de nombreuses excentricités, notamment culinaire, comme un tropisme suspect pour la nourriture asiatique, qu’il pouvait manger à toute heure ou presque. Mon grand-père ne se lassait pas de raconter la réponse que lui fit Rins la première fois qu’il lui demanda ce qu’il avait l’habitude de prendre au petit déjeuner :‘Breakfast’? Is that the thing some people eat in the ‘morning’?

 

Rins knows the question to 42.

 

Des sources plus objectives que mon grand-père confirment que Rins aurait eu une existence réelle, qu’il fût chercheur en intelligence artificielle au MIT, et que ses développements informatiques sont bien réels. La version consensuelle énonce qu’il décida de rendre possible d’utiliser un ordinateur et d’avoir de la liberté vers les premières années de la huitième décennie du vingtième siècle du calendrier grégorien. C’était impossible alors parce que tous les systèmes d’exploitation étaient privateurs – comme il devait les appeler le premier. Il a donc décidé de créer un autre système d’exploitation, lequel, en étant l’auteur, il pourrait faire libre. Il aurait déclaré à ce propos :

 

« Plus tard, j’ai entendu ces mots, attribués à Hillel :

If I am not for myself, who will be for me?
If I am only for myself, what am I?
If not now, when? c

C’est dans cet état d’esprit que j’ai pris la décision de lancer le projet GNU. »

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When Rins runs /bin/false, it returns « true ».

 

GNU allait devenir l’oeuvre de sa vie. Associée à l’exemplarité de son comportement et à la fermeté de ses principes, elle lui valu une certaine renommée dont il tira parti pour défendre son éthique et les 4 libertés fondamentales. Il était animé d’une véritable passion pour la liberté, dont naissait cette jalouse perspicacité qui écartait les « compromis nécessaires » pour la bonne raison qu’ils devenaient volontaires. Il était une idole pour beaucoup, chacune de ses interventions étaient commentées par des centaines de :

 

« I never saw another human being this honest! Long Live Rins! » « I simply love this man – I am amazed how beautiful a human being can be… » « Te queremos gordo », etc.

 

They can take our lives, but they can never take our freedom. – William Wallace after a little talk with Rins.

Ceux qui voient en Rins un idéaliste de la première heure, lui attribue une réponse écrite dans les mêmes années 80 du grégorien à la lettre ouverte du «philanthrope-Bill-Gates» accusant les amateurs de «vol de logiciel», énoncée en ces termes : « La société américaine est déjà une jungle où l’on s’entre-dévore, et c’est cette loi de la jungle qui la maintient dans l’état où elle se trouve. Nous souhaitons remplacer cette loi par le souci d’une coopération constructive.» Ce qui nous pousse à croire que son orientation politique était très tôt marquée.

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En 2015 du même calendrier, on pouvait lire dans le New Yorker :

 

« I told (him) that I’d spoken with several developers who venerate his work, and who had even said that without it the course of their lives might have been altered. But they don’t seem to do what you say, I observed; they all have iPhones. “I don’t understand that either,” he said. “If they don’t realize that they need to defend their freedom, soon they won’t have any.”

Ce qui nous incite à penser qu’à cette époque  Rins n’avait pas encore découvert le Discours de la servitude volontaire, et que par ailleurs, l’intérêt pour les questions relatives au numérique dépassait déjà le seul microcosme des weirdos. En 2013 C.G., le héros Edward Snowden avait révélé au monde l’entreprise de surveillance globale des masses à laquelle se livraient grandes entreprises et gouvernements, eux-mêmes se confondant de plus en plus. Les lois de « renseignement »  s’empilaient sur le patriot act de 2001. Le parlement des Etats Unis d’Amérique votait la fin de la neutralité du réseau; l’Union Européenne proposait des lois pour généraliser le filtrage automatique des contenus. En France, Hadopi pompait le sang des citoyens au profit du génie de l’art Thierry Lhermite ; la Loppsi autorisait la censure administrative ; Le Monde et les décodeurs traquaient les « Fake News » ; Emmanuel 1er Le Jeune annonçait des lois punissant ces « fake news », etc. Rins commençait lui-même ces courriers électroniques par ce préambule qui résume à lui seul toute l’époque :

[[[ To any NSA and FBI agents reading my email: please consider]]]
[[[ whether defending the US Constitution against all enemies, ]]]
[[[ foreign or domestic, requires you to follow Snowden’s example. ]]]

 

Rins exists because he compiled himself into being.

 

C’est dans ce contexte que tout bascula. Rins pianotait sur son laptop en attendant l’embarquement lorsqu’une jeune femme l’interpella avec un fort accent français :

« You are Rins. I love you. » Il continua de taper encore quelques secondes avant de lever les yeux qu’il tenait toujours fixes.

– Oui je suis et j’aimerais beaucoup vous aimer aussi. Vous avez un nom ? Répondit-il avec un fort accent étatsunien.

–  You don’t know me and you don’t have to. I know you and that’s what matter. You should stop to lose your time playing with computers, you already have shown the way. Read that book, cease being what you are in order to be who you are, like the poet said. Hack yourself and go further. »

Rins n’en croyait pas ses oreilles, ni ses yeux d’ailleurs qu’il gardait rivés sur ce regard blanc qui le transperçait. L’oeil gauche partait légèrement vers l’extérieur, et la divergence de direction des deux phares bleus qui brûlaient au centre du visage exsangue installait instantanément une instabilité inusuelle. Rins se senti inondé et avant qu’il pu articuler sa réponse il avait pris le livre qu’elle lui tendait et l’avait déjà vu s’éloigner. « Je vous remercie, je le lirai avec attention. » énonça-t-il distinctement bien plus tard, seul, à la surprise de ses voisins. Pour la première fois de sa vie peut-être, Rins resta inactif plusieurs minutes de suite, hébété, ne sortant de sa torpeur qu’après le rappel de son nom pour l’embarquement. Le monde avait fondu.

 

Il m’est arrivé une chose étrange. On a porté à ma connaissance un fameux livre écrit il y a 500 ans par un jeune français, et je me suis retrouvé face à ce sentiment bizarre, c’était comme si je l’avais écrit moi-même. Il traite de cette question ahurissante de la servitude volontaire, cette question majeure.

Pourquoi sommes-nous assez stupides pour placer toutes nos vies dans des machines qui travaillent contre nous, pour renoncer volontairement à notre liberté, à notre autonomie, à notre capacité d’action collective, etc ?

Où en sommes nous de nos rapports de confiance ?

Nous ne croyons plus que nous deviendrons tous millionnaires, acteurs ou rockstars. Nous n’en rêvons pas ; nous rêvons de redevenir libres, à n’importe quel prix. Et pourtant…nous ne faisons rien ou trop peu.

« Le marketing est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la race impudente de nos maîtres. (…) Le contrôle est à court terme et à rotation rapide, mais aussi continu et illimité, tandis que la discipline était de longue durée, infinie et discontinue. » Depuis Etienne  l’époque a changé, les sentences tombées du XVIème siècle n’en claquent pas moins fort. Le tyran n’est plus le souverain dont le visage était imprimé sur les pièces de monnaie, il tait son nom et invente les masques, « Les anneaux d’un serpent sont encore plus compliqués que les trous d’une taupinière. » A quoi bon niquer le système si nous restons des suceurs ?

And while we’re here, they’re having their way with us.

They packaged a fight into product.

Turned our dissent into intellectual property.

Televising our revolution with commercial breaks.

They backdoored into our minds and robbed our truth, refurbished the facts, then marked up the price.

This is what they do.

It’s what they’re good at.

This is their greatest trick.

To try and bring the truth.

They’re trying to take that away.

N’attendez pas qu’on vous donne le pouvoir, on ne vous le donnera pas. Les puissants n’ont aucun intérêt à ce que vous cessiez d’être passifs. Cessez d’obéir aveuglément, de servir, et vous serez libres. Soyez prêts à bâtir sur des cendres ou vous vivrez enchainés. L’alternative est simple. La bonne façon c’est de ne jamais se compromettre ; de garder les bibliothèques ouvertes ; de cesser d’avoir honte de nous. Soyons humbles, nous sommes l’avenir. Ne nous trompons pas, seul un collectif fort pourra changer le cadre, la liberté individuelle est un leurre dans une société de contrôle – elle y est elle-même contrôlée. Que vos enfants puissent écrire de nous « et néanmoins qu’on ne die son nom ni son pays, qu’on conte seulement le fait tel qu’il est, la chose même parlera et jugera l’on à belle aventure qu’il était Romain est né dedans Rome, et lorsqu’elle était libre. »  Le gnou doit vaincre le serpent.

 

« Cela dit, maître loup s’enfuit, en court encor. »

Rins jeta cette bouteille à l’Internet et personne ne sut jamais ce qu’il devint après ce vol. Il cessa d’être un homme pour devenir une légende. Qu’importe lui ? Nous sommes tous lui, et il devint nous tous. Grand-père dit qu’il renonça à son être propre pour aviver la liberté au coeur de chaque homme. Il est devenu la liberté. Who’s Rins ? Rins Is Not Stallman.

 

Long Hack Rms.

*** JE LE VEUX ***

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