Lecture d’hiver

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Les dernières feuilles balancent leurs bruns brillants dans l’air tremblant, bien seules sur les branches bientôt nues qui, elles, semblent avoir volé au ciel blême son gris éternel… La vie s’engourdit derrière la vitre froide. Le coeur se fige, l’âme flotte, l’esprit s’alanguit… Le temps se suspend et pourtant… “Des images me reviennent, comme un souvenir tendre… Et au loin, un écho, comme une braise sous les cendres… Un murmure à mi-mot, que mon coeur veut comprendre…Loin du froid de décembre.” (Les érudits reconnaîtront… ).

Décembre menaçait avec son cortège d’émotions, et alors que le froid commençait de s’insinuer sous ma pelisse, la vie, dans son ironie coutûmière, m’offrit à la suite d’une mauvaise recherche une belle découverte. Je me trouvais un soir à la librairie Le Rideau Rouge, 42 rue de Torcy, Paris 18ème, mandaté pour une toute autre affaire, quand en passant je jetai un coup d’oeil au rayon “Littérature Russe” et mon regard, fait exceptionnel, fût arrêté par un titre : Une soirée chez Claire. – Retenu par un prénom, si c’est con ! – Je tirai le volume rouge, et jetai mes yeux avides sur la quatrième de couverture dont l’argument décida l’acquisition du livre  “Salué par ses contemporains, de Vladimir Nabokov à Maxime Gorki, ce chef-d’oeuvre sur la quête d’identité et l’exil a paru en 1930”.

Le roman commence à Paris, par les retrouvailles de Nikolaï avec Claire : “Lorsqu’elle fut endormie, je me tournai contre le mur et ma tristesse ancienne réapparut ; la tristesse habillait l’air, ses vagues transparentes flottaient sur le corps blanc de Claire, caressait ses jambes, sa poitrine ; tristesse encore, le souffle invisible qui filtrait entre ses lèvres.” Une tristesse essentielle née de l’irréversible dommage d’une séparation, de l’invincible solitude, de l’inexorable cours du temps qui s’ouvre pourtant lorsque « ta forme veille et mes yeux sont ouverts »…

Ces retrouvailles font resurgir les souvenirs de la Russie quittée des années plus tôt, lors de la guerre civile. La Russie de l’enfance et l’adolescence dorées de l’aristocratie du début du siècle, des éclats des glaces de Pétersbourg et ceux du soleil de Crimée, pays de cocagne des enfants trilingues des grandes familles libérales ; la Russie plus humble aussi ( “Comme beaucoup de gens simples, c’était un grand sentimental qui avait presque les larmes aux yeux en chantant ses chansons : elles occupaient la place des mouvements de l’âme que suscitent les livres, la musique et le théâtre – des émotions dont il ressentait certainement un besoin beaucoup plus fort que les plus cultivés de ses camarades.” ) ; la Russie de la confusion politique, de l’absurde d’une guerre civile presque irréelle… La Russie sert de cadre au roman, à la recherche de l’identité, au départ, au souvenir, à la rencontre…

Il y a beau temps qu’a disparu l’écheveau complexe des raisons – qu’aucune mémoire n’a retenues – qui, cet hiver-là, m’avaient poussé à rejoindre un train blindé et à rouler des nuits et des nuits en direction du sud. Pourtant, ce voyage se poursuit en moi, et il est certain que, de temps à autre, et jusqu’à ma mort, je me reverrai allongé sur la couchette supérieure du compartiment, que surgiront, au-delà des fenêtres mal éclairées, tranchant à la fois l’espace et le temps, les pendus emportés dans le néant au gré des voiles blanches, que la neige tourbillonnera et que glissera, tressautante, l’ombre du train disparu filant au long des longues années de ma vie. Et il se peut que le sentiment, qui a toujours été le mien, de ne regretter que très brièvement les personnes et les pays que je quitte, il se peut que ce sentiment-là ne soit qu’une parfaite illusion, parce que tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai aimé – soldats, officiers, femmes, neige, guerre -, rien de ce tout ne me quittera plus, du moins tant que ce ne sera pas l’heure de mon dernier voyage – chute lente dans les noires profondeurs – , navigation un million de fois plus longue que mon existence sur terre, si longue, qu’au cours de cette descente j’oublierai tout ce que j’ai vu, mémorisé, senti et aimé. Et lorsque j’aurai oublié tout ce que j’ai aimé, alors je serai mort.

Achetez-le ! Lisez-le ! Vous y trouverez nécessairement votre compte, cupides enfants du profit et de la rentabilité… Vous trouverez de la sincérité, de la beauté, de l’intelligence, des histoires, des personnages, des émotions, des amis, des paysages, des rencontres…la vie quoi ! Et à ceux qui me répondront encore laconiquement que c’est pas leur truc et que ça les fait chier : vous y trouverez toujours votre compte, nos Idoles contemporaines n’en sont pas exclues : la Guerre et le Sexe. Divertissement assuré ! Ce livre reste accessible. Encore loin de la sophistication d’un Nabokov ou d’un Biély, Gazdanov vous tend la main vers la littérature, saisissez-la !

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